Extrait de la préface

« C’est à Omar Blondin Diop que Mongo Beti a dédié Remember Ruben, ce roman qui lui était si cher : « À Diop Blondin. Fier enfant noir, mon jeune frère, assassiné dans les geôles atroces d’un dynaste d’Afrique. Afrique, marâtre trop fertile en tyrans mercenaires ». À l’image de l’auteur camerounais, nombre d’intellectuels de renommée internationale avaient été choqués par la brutale disparition du jeune militant sénégalais d’extrême-gauche. Au Sénégal même, la police de Senghor et Jean Collin avait violemment réprimé une série de manifestations d’ampleur d’une jeunesse urbaine en colère. Et cinquante ans après cette matinée fatidique du 11 mai 1973, des voix toujours plus nombreuses exigent la réouverture de l’enquête pour en finir avec la thèse du suicide que personne n’a jamais prise au sérieux.

Un tel émoi était compréhensible car Omar Blondin Diop, qui nous a quittés dans sa vingt-sixième année, quasi au sortir de l’adolescence, a eu un destin exceptionnel. Chacun s’est senti aussitôt orphelin de la passion et des impatiences de l’étincelant Omar, qui se précipitait à si grandes enjambées vers l’avenir.

En apprenant il y a trois ans que Florian Bobin travaillait sur la présente biographie, je me suis posé une question qui va sûrement tarauder tous ceux qui ont connu, même de loin, Omar Blondin Diop : pourquoi Cette si longue quête, le tout premier ouvrage à lui être consacré, ne paraît-il que cinquante ans après sa mort ? Il est vrai toutefois que notre rapport à une figure aussi complexe ne devrait pas être outrancièrement simplifiée et sans doute faut-il se garder d’aller trop vite en besogne. S’il est en effet vrai que le livre de Bobin met fin à un demi-siècle de silence, il ne faut pas non plus en déduire qu’Omar Blondin Diop est tombé pendant si longtemps dans l’oubli.

C’est tout simple : dans notre histoire politique, Omar est bien la seule individualité qui ait, en elle-même, sans qu’on ne puisse jamais la relier à une structure formelle, une telle puissance d’évocation. Personne ne pense à un parti ou à quelque organisation que ce soit en entendant le nom d’Omar Blondin Diop. Ce qui flotte plutôt dans l’air ce sont de vagues souvenirs, des images diffuses évoquant l’éternelle jeunesse de la révolution. Juste un mouvement de Vincent Meessen et Omar Blondin Diop, un révolté de Djeydi Djigo, les deux documentaires qui lui sont consacrés disent surtout le tragique destin d’un jeune homme ayant payé de sa vie sa soif de liberté et de justice sociale.

En vérité, Omar survit dans nos mémoires comme cette « écharde dans la blessure » dont parle, à propos de l’Afrique, le poète David Diop, parti lui aussi à la fleur de l’âge. Et paradoxalement, le fait même que sa vie mérite aujourd’hui encore d’être racontée est la preuve que l’ombre d’Omar Blondin Diop n’a jamais cessé de cheminer à nos côtés. Il est très peu de ses contemporains – qui pourtant tenaient alors le haut du pavé – dont la biographie présenterait à l’heure actuelle le moindre intérêt...

Omar garde du reste, dans son pays comme à l’étranger, de nombreux admirateurs qui ne laissent jamais passer l’anniversaire de sa mort sans la célébrer de quelque façon. L’événement a certes rarement un grand écho médiatique mais cela importe peu au moment où il faut surtout se recueillir et méditer. […]

[…] Arrivée par surprise, cette biographie sur Omar ne manquera certainement pas d’en inspirer d’autres. Par leur tir groupé, ces ouvrages permettront fort heureusement un retour en force du débat sur les événements du 11 mai 1973 à Gorée : suicide ou assassinat? Comme le rappelle ces jours-ci la Fondation Omar Blondin Diop dans une nouvelle pétition, feu Moustapha Touré le juge jadis en charge de l’affaire, a apporté dans le film de Djeydi Djigo un nouvel élément donnant pour ainsi dire le coup de grâce à la thèse hautement farfelue du suicide. Même si cela prendra sans doute quelques années encore, la vérité et la justice finiront par éclater au grand jour.

Est-il permis de nourrir le même espoir pour François Mancabou, Didier Badji et Fulbert Sambou, dont les circonstances troubles de la mort et de la disparition interrogent nos consciences ? Comparaison n’est certes pas raison mais au-delà des différences entre ces trois compatriotes et Omar Blondin Diop, leur cruel destin commun nous interpelle sur la question d’éventuelles exécutions extra-judiciaires, inadmissibles dans une société civilisée.

Le plus grand intérêt de Cette si longue quête de Florian Bobin sera de servir de catalyseur à cet examen de conscience collectif. Cela en fera aussi, même à une modeste échelle, un moment de l’histoire des idées au Sénégal. »

« Situation politique nationale : Boubacar Boris Diop se livre ! », Belles lignes, iTV, 23 mars 2023

Le préfacier

Né en 1946 à Dakar, Boubacar Boris Diop est l’auteur de nombreux romans, essais et nouvelles, parmi lesquels Les Tambours de la mémoire, Le Cavalier et son ombre, Murambi le livre des ossements, Doomi Golo, Malaanum lëndëm et Bàmmeelu Kocc Barma. Figure intellectuelle incontournable de la décolonisation des esprits en Afrique, il est le lauréat 2022 du prestigieux prix international de littéraire Neustadt.

Introduit au militantisme politique par la vague déferlante de « Mai 68 » dans un contexte de parti unique au Sénégal, il fut parmi ceux de la génération d’Omar Blondin Diop à remobiliser sa mémoire dans leur art : le personnage Kaba Diané dans son premier roman publié, Le Temps de tamango, est en effet une réincarnation romanesque du défunt philosophe.

Dans le sillage des combats portés au sortir des indépendances nominales, Boubacar Boris Diop lutte aujourd’hui pour la promotion et la démocratisation des langues nationales au Sénégal, par le biais de sa maison d’édition Ejo Editions ainsi que le site d’information Lu defu waxu, tous deux entièrement en wolof.